Photos de mode, partenariats avec des marques de luxe et événements ultra-privés… Chaque année, des dizaines de jeunes se lancent dans le business du marketing d’influence sur Instagram. Une activité qui intéresse de plus en plus les grandes enseignes, et propulse ces inconnus au rang de superstars des réseaux sociaux.
Robe adorée… Vous préférez le look 1 ou 2 ? » Sur Instagram, Diane questionne ses followers, les personnes abonnées à son compte. La vingtaine, longs cheveux blonds, elle pose dans une robe rose. Les pieds nus dans le sable, ou assortie d’une veste en cuir pour la ville, la jeune femme propose plusieurs styles, photos à l’appui. « Deux salles, deux ambiances, je voulais vous montrer les différentes façons de porter cette pépite », précise-t-elle en dessous de son post. Sans oublier de citer le nom de la marque de prêt-à-porter qui lui a offert le vêtement et de proposer un code promo aux utilisateurs.
Quatre jours après leur publication, les deux clichés comptent déjà près de 8 000 likes et 200 commentaires. Les followers, eux, semblent conquis : le contrat est rempli. Comme des dizaines de jeunes chaque année, Diane, 25 ans, s’est lancée dans le marketing d’influence sur les réseaux sociaux, un concept lucratif qui séduit les « instagrammeurs » autant que les marques de luxe.
« Les contrats se sont enchaînés »
Contre rémunération ou en échange de cadeaux, Diane est donc ce que l’on appelle une influenceuse. Son rôle ? Poster, à longueur de journée, des clichés d’elle arborant une veste, un bijou ou un rouge à lèvres, et en faire la publicité. « Je suis maintenant influenceuse à plein temps. Et ma vie n’a plus rien à voir [avec ce qu’elle était avant]. Depuis quelque temps, Instagram me fait vivre. » Conseils beauté, astuces mode et shootings sur des plages de rêve… La jeune femme fait désormais partie de ces nouveaux modèles, triés sur le volet par les marques de luxe qui vendent ainsi leur image en même temps que leurs produits sur les réseaux sociaux.
Au début, je voulais seulement partager mes looks, et vanter les produits de marques qui me plaisaient.(Diane, influenceuse sur Instagram à franceinfo)
Il y a quelques mois encore, son quotidien était pourtant loin de ressembler à celui d’une jeune mannequin. Cela fait maintenant un an que Diane a décidé de refermer définitivement les portes du bloc opératoire dans lequel elle travaillait jusqu’alors en tant qu’infirmière. « Je me levais chaque matin à 6 heures, pour courir toute la journée entre les patients. » Elle avait pour habitude de jongler entre deux vies, bien distinctes. D’un côté, les visites à cent à l’heure dans les chambres d’hôpital. De l’autre, sa passion pour la mode, qu’elle mettait en scène sur les réseaux sociaux, sur un blog d’abord, puis sur Instagram, ce service de partage de photos et de vidéos appartenant à Facebook.
Très vite, l’infirmière acquiert des milliers d’abonnés. « A ce moment-là, les marques ont commencé à s’intéresser à mon profil, se remémore la blogueuse. Les partenariats se sont alors enchaînés, jusqu’à ce qu’ils soient assez nombreux pour me permettre de gagner ma vie confortablement. » Sur ce sujet, Diane souhaite rester discrète, mais elle admet pouvoir gagner « entre 700 et 1 800 euros par photo postée ».
Comme elle, des dizaines d’anciens blogueurs profitent de l’essor d’Instagram – plus d’un milliard d’utilisateurs depuis la création de l’application, en 2010 – pour multiplier les partenariats avec les marques. Suggestions de looks, de plats healthy (bons pour la santé) ou vegan, de destinations de vacances ou de lifestyle (mode de vie), le choix est large. Selon une étude réalisée par l’agence de marketing d’influence Reech, 69,2% des influenceurs indiquent ainsi qu’Instagram est le réseau social privilégié pour publier du contenu en 2018, contre 42,9% en 2017.
« Le but est de proposer à tes followers des choses qui pourraient leur plaire, qu’ils pourraient faire, qu’ils pourraient avoir. Ils te font confiance, et ça leur plaît », explique, pour sa part, Amine, 26 ans. Inconnu il y a encore cinq ans, cet ingénieur de profession a rejoint le réseau social en 2013, et réunit déjà près de 50 000 abonnés. Comme Diane, il a réussi le double pari de vivre de sa passion tout en développant un business qui intéresse de plus en plus les annonceurs.
« Je peux gagner 5 000 euros pour cinq photos »
« La plupart du temps, les marques nous contactent directement par mail », observe l’instagrammeur, qui vient de conclure un partenariat pour une bière aromatisée. « Mais si ce sont de petites enseignes, elles nous envoient un message sur Instagram, ou par des plateformes spécialisées. » Quant aux marques très connues, elles font plutôt appel à des agences de communication. Age, style, communauté… Les enseignes passent au crible le profil de leur future « égérie ». « On écume les réseaux sociaux, on sait qui est ami avec qui, on apprend à les connaître… et on les met en relation avec nos clients », précise Stéphane Bouillet, président et cofondateur de l’agence Influence4you. Pour cela, différents critères sont pris en compte : « On étudie la puissance des influenceurs, leur ligne éditoriale et le taux d’engagement de leurs photos », fait-il savoir. « Si un influenceur est suivi par 200 000 personnes, mais que ses posts ne sont likés que par une centaine d’utilisateurs, ça ne vaut pas le coup. »
Pierre, instagrammeur voyage et lifestyle de 31 ans, ne connaît pas ce problème. Il est suivi par plus de 65 000 personnes, et certaines de ses photos sont aimées plus de 4 000 fois. « Couldn’t resist the selfie temptation ! » (« Je n’ai pas pu résister à la tentation du selfie ! »), commente ainsi le jeune homme dans une de ses publications le mettant en scène en peignoir de bain d’un hôtel de luxe à Paris. « Grâce à mes photos, je peux voyager gratuitement partout dans le monde », confie cet employé d’une société d’investissement qui, contrairement à d’autres, n’a pas voulu quitter son emploi pour se consacrer pleinement à son activité d’instagrammeur.
Maintenant, 70% du temps, je contacte des hôtels quand je voyage. Ils me proposent des chambres gratuites en échange de quelques photos ou d’une story. (Pierre, 31 ans, influenceur sur Instagram à franceinfo)
Le trentenaire y trouve son compte : en plus de ses voyages autour du monde, il travaille également avec des marques de mode, comme Jules, Bonobo ou Daniel Wellington, qui le rémunèrent directement. « C’est assez aléatoire, mais je peux recevoir entre 500 et 700 euros par publication. Après, il y a des campagnes plus importantes, où je peux gagner 5 000 euros pour cinq photos. Mais ça arrive moins souvent. » Un chiffre impressionnant, qu’il faut toutefois relativiser. Selon l’étude réalisée par Reech, 94,8% des partenariats sur les réseaux sociaux se concluent avec une rémunération inférieure à 500 euros par post.
Un business lucratif ?
Ces partenariats rondement rémunérés poussent certains de ces internautes à tout lâcher pour se consacrer à leur passion. Nicolas vit de son profil Instagram depuis un an. « Avant ça, je travaillais dans une agence de publicité à Paris depuis six ans, raconte l’homme de 29 ans, qui rassemble à lui seul plus de 53 600 abonnés. Maintenant, je peux faire ce que je veux, quand je veux. » Cet ancien blogueur, passionné de photo, travaille avec des marques comme Audi, Porsche, Omega ou Nike… « Mais je peux aussi collaborer avec H&M », note-t-il. Ce dernier assume gagner entre 200 et 1 500 euros par photo postée, en fonction de la marque et de la négociation… soit une rémunération mensuelle « bien plus intéressante » que son ancien travail.
C’est grisant. On rencontre du monde tout le temps, chaque journée est différente. C’est le job de rêve. (Nicolas, 29 ans, influenceur sur Instagram à Franceinfo)
« Les prix du marché sont assez cohérents, lorsqu’on les compare aux bénéfices qu’ils peuvent rapporter, estime Stéphane Bouillet de chez Influence4you. Les gros influenceurs rassemblent un public énorme. Une seule de leur photo peut alors leur faire gagner plusieurs milliers d’euros, voire une dizaine de milliers pour les personnalités qui comptent des millions de followers. »
Selon Guillaume Doki-Thonon, fondateur de l’agence Reech, ces sommes s’expliquent notamment par la notion d’earned media value, c’est-à-dire l’exposition dont bénéficie une marque en faisant appel à ces influenceurs.« Au tout début du phénomène, si une enseigne dépensait 10 000 euros dans le marketing d’influence, on arrivait à un earned media value de 90 000 euros. C’était multiplié par neuf, souligne-t-il. Maintenant, on multiplie plutôt par six, parce que les rémunérations des influenceurs se sont stabilisées. » Certains outils permettent même de calculer directement, et gratuitement, l’earned media value d’une campagne d’influence, comme le relate sur son site l’agence Influence4you.
Des partenariats avantageux pour les marques
Pour les marques, comme l’enseigne d’hôtels Accor, ces partenariats présentent plusieurs avantages. « Cela nous permet de mettre en lumière nos établissements d’une autre manière. Au lieu de dire ‘Nos hôtels sont agréables’, quelqu’un dit pour nous : ‘J’ai trouvé cet hôtel agréable’. Le message n’est pas le même », indique-t-on à la direction d’Accor. En faisant confiance à ces instagrammeurs, la marque touche également une clientèle plus difficile à atteindre. « Les followers ont généralement entre 15 et 25 ans, et se seraient habituellement dirigés vers des auberges de jeunesse ou des plateformes type Airbnb », précise encore le groupe hôtelier.
« Ce qui est lucratif, c’est que cette publicité est simple à mettre en œuvre, tout en ayant une résonance très forte chez les utilisateurs », analyse pour Franceinfo Bertrand Bathelot, professeur de marketing, spécialiste de l’influence. « Nous sommes face à des photos quasi-professionnelles, diffusées à un large public par des personnes qui cultivent un côté authentique. Ça n’a pas de prix. » Ce type de marketing aurait, selon lui, « complètement rebattu les cartes » de la communication. « Le budget mis dans l’influence est évidemment coupé ailleurs, précise-t-il, mais les réseaux sociaux sont devenus de réels médias. Certains influenceurs sont aussi suivis que certains titres de mode. »
Les marques n’hésitent plus à dédier une partie importante de leur budget à cette publicité numérique. « Selon une étude menée par la Duke School of Business, à laquelle nous avons eu accès, les annonceurs prévoient, en 2019, de dépenser 21% de leur budget publicitaire dans le marketing d’influence, explique ainsi Guillaume Doki-Thonon. En 2014, ce chiffre ne s’élevait qu’à 9% du budget total. » Selon le patron de l’agence Reech, certaines marques pourraient même consacrer plus de 50% de leur budget publicitaire aux influenceurs : « Certaines start-up sont nées sur internet, et dédient ainsi la quasi-intégralité de leur communication au marketing d’influence. »
Une pratique réglementée… et éphémère
Pourtant, cette forme de communication commerciale n’est pas sans limite. Comme le rappelle Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), « des règles de bonnes pratiques commerciales » ont été mises en place pour contrôler le secteur.« Dès lors qu’un post est publié en échange d’une contrepartie commerciale, il y a partenariat, et cela doit être précisé de manière claire, immédiate et explicite. » Sur son compte Instagram, Diane indique ainsi le nom des marques avec lesquelles elle collabore, tandis que d’autres inscrivent le hashtag #sponsorisé ou #partenariat. « Si une pratique commerciale déloyale est détectée, c’est sanctionné par la loi, jusqu’à 300 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement », met en garde Mohamed Mansouri.
La plupart des influenceurs contactés par franceinfo affirment qu’ils comprennent cette réglementation, et la respectent. « C’est important pour moi de garder un lien de vérité avec mes abonnés », affirme Diane. « C’est pour ça que je fais ce métier. Ce que j’aime, c’est partager », argumente celle-ci. Ayant récemment participé à une émission de relooking à la télévision, la jeune femme a connu, il y a quelques semaines, « un pic » de nouveaux abonnés, et regrette de ne plus avoir le temps de répondre à toutes leurs sollicitations. « Contrairement à ce que les gens pensent, être influenceuse est un travail à plein temps », plaide-t-elle, consciente aussi de l’aspect éphémère de cette activité. « Je mets de l’argent de côté, je sais que ça ne durera pas toujours, qu’après Instagram, une autre application sera à la mode. Et puis, les gens finissent toujours par se lasser… »