INTERVIEW VIDÉO – Invité du Big Bang Santé du Figaro, qui s’est tenu mercredi dernier, Thierry Marx a livré sa vision de l’alimentation du futur.
Thierry Marx est l’un des chefs français les plus innovants. Il se montre toutefois plus que prudent face à la foodtech. À ses yeux, «l’alimentation peut et doit redevenir un acte de plaisir, de bien-être et de santé».
LE FIGARO. – Avec le chimiste Raphaël Haumont, vous avez cofondé le Centre français d’innovation culinaire (CFIC), à Orsay. Par quel biais vous êtes-vous intéressé à l’alimentation de demain?
Thierry MARX. –En m’intéressant à celle d’hier! J’ai relu le chef Auguste Escoffier, qui écrivait dans un de ses ouvrages: «La cuisine, sans cesser d’être un art, devra soumettre ses formules trop souvent empiriques à la science.» Je me suis intéressé à la gastronomie «moléculaire» en 2004. J’ai vite compris que ce n’était pas un style de cuisine, mais plutôt une boîte à outils pour découvrir la gastronomie du futur. Au CFIC, nous essayons d’imaginer la nourriture de demain en gardant en tête un défi: celui de nourrir correctement 9,7 milliards d’habitants en 2050.
Y aura-t-il un problème de ressources?
Le Centre français d’innovation culinaire croise les regards de chercheurs de diverses disciplines sur la gastronomie de demain. Il est clair qu’un phénomène de stress hydrique nous menacera d’ici à 2050: la quantité d’eau sera insuffisante pour élever tout le bétail nécessaire à notre alimentation. À partir de là, revenons au bon sens: se restaurer, c’est aussi un acte citoyen!
Qu’entendez-vous par là?
Le modèle d’hyperconsommation alimentaire du siècle dernier, qui provoque de l’obésité, des pathologies et d’immenses dégâts environnementaux, a clairement montré ses limites. Il faut explorer des pistes alternatives et consommer de manière plus responsable. Nous devons nous mobiliser sans relâche et sensibiliser le plus grand monde à cette nouvelle approche. Et si, par exemple, nous décidions de remplacer les journées du climat par des journées de la non-consommation?
Le fondateur de la start-up Vital Meat, spécialiste de la foodtech, estime que le consommateur aura demain le choix entre une viande «conventionnelle» et une viande artificielle et qu’il sera impossible de les discerner, mais la seconde aurait un meilleur impact sur l’environnement et sur notre santé. Qu’en pensez-vous?
Je ne crois pas que les ersatz de produits soient la solution. Je prône le flexitarisme (semi-végétarisme, NDLR), autrement dit une consommation de viande fortement réduite. Les nutritionnistes affirment qu’une protéine animale par semaine suffit à la croissance d’un enfant! Il convient d’accompagner les agriculteurs et les éleveurs dans leur transition vers des modèles moins intensifs, préservant les sols. La recherche s’avérera précieuse dans ce domaine.
Quel flexitarisme prônez-vous concrètement?
80 % de protéines végétales, 20 % de protéines animales. Tous nos restaurants ont adopté cette formule et nous n’avons reçu aucune plainte! La surconsommation de viande constitue un non-sens gastronomique. J’ajoute que le low-cost a déstabilisé le monde de l’alimentation au détriment de la qualité. Les prix n’ont plus aucun sens. Une baguette faite avec de mauvais produits et vendue à 80 centimes, vous la payez trois fois: quand vous achetez votre pain, quand vous vous ferez soigner et quand vous devrez financer par vos impôts la «réparation» des sols agricoles. Il est plus que temps de promouvoir une agriculture de qualité qui redonne sa place à la valeur des produits.
Avez-vous l’impression de faire de la politique?
Non, j’ai le sentiment d’être un citoyen lambda. Vous savez, quand nous nous sommes lancés dans la cuisine moléculaire, il y a quinze ans, les critiques et journalistes voulaient nous porter au bûcher. La gastronomie, c’est aussi une histoire de transgression!
Vous êtes-vous essayé à la viande in vitro, aux plats à base d’insectes?
(L’air peu convaincu) J’ai essayé… Je regarde tout ça avec attention, mais je pense que ça restera une parcelle minoritaire de notre alimentation. Je préfère les plats ancrés dans les sols et les territoires.
Vous ne pouvez pas constamment déléguer à quelqu’un d’autre la capacité à vous nourrirThierry Marx
Et vos clients, que veulent-ils?
Le client n’est pas un aventurier. Il vient pour trouver une émotion, un réconfort. Si je lui propose une tarte aux pommes moléculaire et une tarte aux pommes comme la faisait ma grand-mère, il optera pour la seconde…
Y a-t-il eu une révolution dans les assiettes ces dernières décennies?
Hélas, non. Les plats n’ont pas beaucoup changé. Seulement, la mondialisation est passée par là. La nourriture est devenue plus accessible. Nos parents ont pu déguster une variété de plats beaucoup plus grande que nos grands-parents.
Les consommateurs ont pris l’habitude de manger des plats tout préparés. Ils ne travaillent plus la matière. Est-ce en train de changer?
Je vois avec quel cynisme l’industrie agroalimentaire propose des plats transformés véganes maintenant que c’est à la mode (Herta, par exemple, vient de lancer un steak haché végan)… J’encourage les lecteurs à se faire confiance et à cuisiner. Vous ne pouvez pas constamment déléguer à quelqu’un d’autre la capacité à vous nourrir. Ce qu’on mange, et comment on le mange, reflète qui on est. L’alimentation peut et doit redevenir un acte de plaisir, de bien-être et de santé.
Qu’y aura-t-il à la carte de vos restaurants dans trente ans?
Les menus seront flexitariens. C’est la seule solution si nous voulons vivre nombreux et longtemps.
Thomas Lestavel, Jacques-Olivier Martin et Guillaume Roquette- Le Figaro
Bio express
1978 Il entre chez les Compagnons du devoir
1988 Première étoile au Guide Michelin
2012 Arrivée au Mandarin Oriental (2 étoiles)
2013 Il crée «Cuisine mode d’emploi(s)», une école pour les jeunes en difficulté. Il lance avec Raphaël Haumont le Centre français de l’innovation culinaire